Le chantage au bad buzz

Rares sont les professionnels qui peuvent se vanter de n’avoir jamais été confronté à un client… disons, enquiquinant. Qu’il soit extrêmement exigeant, voir tatillon, qu’il soit trop prenant et bavard, qu’il soit inconstant ou trop pointilleux, ces clients viendront pimenter votre vie professionnelle. Parmi tous ces profils, il y a un client qui saura vous donner des sueurs froides : celui qui vous menace de publier des mauvaises critiques de vos biens et/services sur les réseaux sociaux. Connaissant l’impact que peuvent avoir ce type de critiques, vous allez devoir gérer avec finesse et intelligence ce type de chantage. Désamorcer le conflit Si votre client profère de telles menaces c’est qu’il est insatisfait ; exaspéré. C’est donc cette colère qu’il vous faudra contenir et apaiser ; et chercher dans un premier temps à trouver une solution amiable à ce litige. Relisez avec lui le contenu du devis, de vos conditions générales de vente/services pour constater s’il y a en effet des défauts de conformité à réguler.
Une fois le « mal » fait Votre client a publié des critiques négatives à votre encontre. Quelle est la meilleure réponse à apporter ? Avant toute chose, évitez autant que possible de judiciariser cette affaire. Consultez votre community manager, et si vous n'en avez pas, prenez conseil auprès d’un communicant afin de gérer ce litige au mieux. En effet, en menaçant de porter votre client devant les tribunaux, vous en faites une victime dont votre clientèle prendra naturellement la défense, ce qui, au final, risquera d’avoir un impact encore plus négatif en matière d’e-réputation que les critiques initiales dont vous avez fait l’objet. Si ces critiques sont incontestablement injurieuses, vous pouvez directement expliquer en quoi elles ne sont pas la bienvenue et pourront être supprimées. En revanche, si il s’agit de critiques circonstanciées, le mieux sera de faire amende honorable, et de répondre dans les plus brefs délais, avec intelligence, en montrant que vous êtes prêt à remédier à son cas avec la plus grande diligence. Cela est toutefois problématique : vous cédez au chantage, et votre clientèle pourra être tentée de faire un usage abusif de cette méthode pour obtenir des avantages de cette pratique. Dans un second temps rappeler que nuire à votre réputation c’est prendre le risque de poursuites en diffamation. Il vous appartiendra ensuite, après avoir recueillis les avis de votre conseil juridique et de votre conseil en communication de savoir s’il est opportun d’agir en justice. Cependant, vous devez savoir précisément ce qu’est la diffamation afin de pouvoir fonder une attaque en justice sur ce fondement. La diffamation doit porter atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne physique ou morale, et elle doit être publique pour être caractérisée. Quelles sont les types de diffamation ? La diffamation visant la personne Il est parfois malaisé de faire la distinction entre les critiques visant le bien ou service vendus par le professionnelle et celles visant sa personne. Or, dans un cas il ne s’agit pas de diffamation et dans l’autre cas, elle est caractérisée. Cependant si les critiques portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps de la personne visée peuvent être qualifiées de diffamatoires. Il pourra s’agir de commentaires sur la malhonnêteté du vendeur/ du prestataire, comme par exemple qualifier un entrepreneur d’escroc, ou du « plus malhonnête des établissements testés » (CA Paris, 22 avr. 1980, Que choisir) ; ou encore, de laisser entendre que la personne morale a des intentions criminelles en laissant ses produits sur le marché ainsi la société UFC a été condamné pour avoir prétendu « qu'il serait coupable voire criminel (…) de ne pas procéder au retrait immédiat » des pneus fabriqués par la société Kléber-Colombes (TGI Paris, 19 nov. 1980) Lorsque ce sont les compétences professionnelles de la personne qui sont mise en doute, comme par exemple celles d’un docteur, on parlera également de diffamation à l’égard d’une personne physique (Cass. crim., 22 mars 1966) Les critiques portant sur les biens/services proposés La diffamation doit s’incliner devant la liberté d’expression lorsque celle-ci ne porte que sur les biens ou services proposés par la personne morale. Dans ce cas, la libre critique est autorisée, et le client a le droit de faire état de son insatisfaction. Ainsi, « dès lors qu'elles ne concernent pas la personne physique ou morale, les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale n'entrent pas dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 » (Cass. crim., 8 févr. 1994) Par ailleurs, pour que la qualification de diffamation puisse être acceptée, il faudra que les critiques visent une personne identifiée ou identifiable, et non une corporation professionnelle. Ainsi, une campagne incitant le public à ne pas porter de fourrure ne pourra être considérée comme diffamatoire, car aucune personne morale n’est précisément visée. (Cass. 2e civ., 17 févr. 1993) Pour que l’on puisse parler de diffamation, les propos tenus doivent être public Ainsi, il ne pourra y avoir de « diffamation » si vos clients vous font des griefs dans des échanges privés. La question qui se pose est donc : sur les réseaux sociaux, qu’est ce qui est public ? Tout dépend des paramètres de confidentialité de votre critique : les propos ne seront pas qualifiés de publiques si « les termes employés ne soient accessibles qu'à des personnes agréées par le titulaire du compte et fort peu nombreuses » (Cass. 10/04/2013) La sanction ne sera pas la même si votre critique est un concurrent, un journaliste ou un particulier Si les critiques proviennent d’un concurrent, vous pourrez non seulement l’attaquer en diffamation, mais également en concurrence déloyale, même si les propos qu’il a tenu portent sur les produits/services proposés. En effet, une entreprise ne peut parler des produits/services de ses concurrents que dans le cadre de la publicité comparée, qui est strictement encadrée par la loi. Si les critiques proviennent d’un journaliste, ce dernier est tenu au respect des règles de déontologie et de diligence professionnelle qui incombent à sa profession et devra donc vous vérifier l’exactitude de tous les faits qu’il avance. En revanche, la jurisprudence est beaucoup plus souple à l’égard des particuliers, et elle tolère des critiques virulentes, approximatives, non vérifiées, si le client les a exprimé en toute bonne foi : c'est-à-dire dans le but de prévenir du risque d’être déçu d’un produit/service mais sans animosité ou volonté de nuire à l’entreprise. « Les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos. […] la dénonciation de pratiques commerciales abusives constitue un but légitime et que l’animosité personnelle de Nicolas D. n’est pas établie, étant rappelé que l’animosité personnelle s’entend d’un mobile dissimulé au lecteur, alors que, dans le cas présent, il n’est pas contesté que le défendeur intervient à la suite d’un différend commercial. […] Il faut relever que Nicolas D. n’est pas un journaliste mais un particulier impliqué, ce qui permet de tolérer une certaine dose d’exagération dans l’expression ». (TGI Paris 24/06/2015) Par conséquent, si votre client vous menace de publier des mauvais avis dans le but d’obtenir des concessions commerciales de votre part, il ne pourra plus prétendre agir de bonne foi : il cherche indubitablement à vous nuire. La diffamation est belle et bien caractérisée. Attention au délai ! Le délai pour agir en matière de diffamation est très court : il est de 3 mois après la publication, ou après la modification des propos tenus par la personne incriminée. Cette durée limitée trouvait
son utilité au temps de la presse écrite, mais il est vrai qu’elle parait inappropriée au temps du numérique, là où les écrits restent et où il est parfois très difficile de connaitre la date de publication.
Attention à la vérité ! Si les propos avancés sont véridiques (art.35 loi du 29/07/1881) la diffamation n’est plus caractérisée, sauf si : « - l'imputation concerne la vie privée de la personne ;
- l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années ;
- l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision ; »
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